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21 septembre 2016 3 21 /09 /septembre /2016 22:27

L’ouverture de ses nouvelles lignes de financement provoque l’extension et la densification du tissu associatif Bamako mais s’accompagne aussi de la naissance de nouvelles associations, dont certaines sur le créneau des expulsés. Annonçons dès à présent la naissance prochaine de l’association Espoir de Cachan Khalifa (ECK), créée par un des « 1000 de Cachan » expulsé, M. Idrissa Harouna Cissé.

Lors de notre entretien le 29/04/2008, M. Cissé m’annonçait la tenue de la première réunion administrative inauguratrice de ECK « Les démarches administratives avancent à un bon rythme. On a ouvert un compte bancaire et notre site internet est en construction. »

L’objet de son association est « d’offrir aux expulsés une réinsertion digne : un travail et un toit. ECK sera une structure sociale et humanitaire, qui permettra aux expulsés de se relever car tout le monde les rejette et de prendre leur destin en main au sein d’une structure participative et dans le respect du développement durable.» M. Cissé fait partie de ces expulsés, qui à l’image de M.C ont su réinvestir leurs capitaux culturels et humains dans un projet ouvert aux personnes les plus vulnérables, qu’ils ont été eux-mêmes un temps donné.

Cet orphelin de 44 ans, père de famille d’un calme et d’une patience bouddhique, a façonné son projet à l’image de l’organisation sociale qui régnait à Cachan en 2006. Pas si éloigné du phalanstère[1] de Fourrier, structure existant encore mais à une moindre échelle dans les villages ruraux communautaires par ailleurs. M. Cissé est pourtant loin d’être un utopiste. Il se présente plutôt comme un militant de la cause « des plus démunis» et plus particulièrement des expulsés maliens.

Diplômé du DEF et ayant suivi deux années à l’école de Banque, il opte pour la cuisine. Il travaillera 10 mois dans les cuisines de l’Hôtel de l’Amitié (derrière l’Ambassade de France). Agé de 28 ans, il laisse éclater son militantisme, à l’image de son père économiste à la Trésorerie au Ministère du Plan resté a-politique, en déclinant un poste dans les cuisines de Moussa Traoré malgré un salaire conséquent. Il se retrouvera dans une autre cuisine, celle de la Ministre chargée de la Santé, puis « prêté » au départ pour un mois pour remplacer le chef cuisinier travaillant dans la mine d’or de Syama (vers Sikasso). Il y est resté dix ans. La mine lui finançait 75% de ses cours d’anglais. Il a aussi suivi par correspondance des cours d’informatique mais sa fibre sociale est restée intacte. Il a dénoncé les cadences de travail au sein de la mine. « Ma formation à l’Institut National de Protection Sociale m’a ainsi permis d’être sanctionné mais je ne le regrette pas c’était un combat militant. » Puis la mine de Syama a été nationalisée. Il a travaillé dans les cuisines d’une autre mine, celle de Morila. En 2000, ils sont une dizaine à tomber malade. Transportés sous perfusion à l’Hôpital, son camarade meurt sans établissement d’un diagnostic précis « No Vox travaille sur ces morts à répétiton dans les mines ».

C’est à cette époque qu’on lui diagnostic une hernie discale. Il obtient un visa maladie pour la France. D’I.R.M en infiltrations et en séances de kinésithérapie, M. Cissé reste en France avec un titre de séjour provisoire renouvelable tous les ans jusqu’à l’épisode des « 1000 de Cachan ». « Le squat était bien organisé. On était cinq à s’en occuper. En quelques mois, des femmes avec des enfants, des sans papiers, des Français, tous avaient des problèmes de logement. On devait être plus de mille alors on nous a appelé les « 1000 de Cachan ». La mairie de 94 voulait nous recenser. Beaucoup avait peur et puis un beau matin, la police a encerclé le secteur. Ils nous ont embarqués en nous disant qu’on allait voir la Croix rouge. C’est comme ça qu’ils ont fait le tri entre ceux qui avaient des papiers et ceux qui n’en avaient pas. » Expulsé après 32 jours de CRA, le 19/09/2006 il est rentré chez son épouse, qu’il avait pris soin de préparer à l’éventualité d’être expulsé et prévenue de son arrivée. « J’ai été obligé de sortir (ndle de chez moi), il fallait que j’aille me faire soigner. Avec ce que j’ai, je n’aurais jamais dû être expulsé. En 2002, j’avais rencontré Dd !! Jean-Claude Amara, José Bové avec qui d’ailleurs j’ai discuté quand j’étais encore au CRA. Quelques jours plus tard je discutais au téléphone avec Ousmane Diarra. On se sépare maintenant.»

Aujourd’hui, il ouvre son association à but non lucratif avec un bureau composé, comme il le souligne, que « de vrais militants. » Il souhaite en priorité offrir une structure d’écoute avec un accueil convivial et serein aux expulsés et participer à leur suivi sanitaire et psychologique. Puis s’occuper de leur réinsertion socioprofessionnelle à travers des activités génératrices de revenus d’abord via la culture vivrière, dont les excédents seraient vendus ou en se rapprochant de G.I.E (Groupe d’Intérêt Economique) pour que les expulsés, qui ne souhaitent pas cultiver la terre, puissent réinvestir leur capital humain : «L’expulsé reprend confiance en lui et l’entreprise peut apprendre de nouvelles techniques importées de l’extérieur » voire se rapprocher aussi de juristes pour mener des combats pour la récupération de leur dernier salaire et le respect de leurs droits.

Ce projet a une vocation plus sociale et humanitaire que de production de plaidoyers. Il est aussi extrêmement ambitieux mais en mettant ainsi l’expulsé au centre de son action, il répond à une attente et semble déjà séduire les fantômes de la honte.

A Bamako, ce nouveau tissu associatif encore souple se densifie à mesure que des associations et d’autres organisations maliennes de même qu’étrangères se rencontrent et élaborent des stratégies. Celles-ci œuvrent dans l’assistance et la prévention de ces sorties migratoires aléatoires, tout comme ces entrées au Mali stigmatisantes, qui discréditent et enferment des expulsés maliens dans la honte jusqu’à sombrer dans la folie ou se laisser mourir[2]. Parmi ce flux de nouvelles associations, ayant signé ou non des conventions annuelles avec des organisations extérieures, certaines souhaitent réellement « vivre pour »[3] les expulsés maliens.

A.3 Une sortie digne

Est-ce aussi un effet de la nouvelle conjoncture des relations afro-euro-françaises avec le Mali ou les effets du Forum avec cette tribune impressionnante d’organisations du Nord ou les ondes de choc des actions menées en France par les campagnes de mobilisation en faveur des travailleurs sans papiers ou des conjoints de français(es) ou les retombées des journées de formation juridique de la CIMADE ou tout simplement une réelle volonté de respecter l’application stricte des lois ? En tout état de cause et quelles que soient les raisons, on assiste à des sorties heureuses et dignes d’ex-expulsés du Mali pour la France.

[1] Le système fouriériste prévoit la formation de phalanstères, groupes humains harmonieusement composés en vue de procurer à chacun de leurs membres le bien-être entre le travail attrayant et librement consenti.

Cette utopie sociale fut principalement théorisée dans le Nouveau Monde Industriel et Sociétaire (1829) (dictionnaire Larousse)

[1] Des expulsés maliens étaient sous traitement médical parfois lourd. Malgré les certificats médicaux de médecins hospitaliers et la perception de l’Aide Médicale d’état, ils ont été expulsés.

[1] WEBER Max, Le Savant et le politique, trad. franc., éd. Bibliothèques 10/18, Paris, Plon, 2002, p.139

EXPULSES

MALIENS

EMMA CHAOUANE

Septembre 2008

MÉMOIRE DE RECHERCHE dirigé par : M. Le Professeur Jérôme VALLUY

L’université Paris 1 n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises

dans ce document. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs

« Plutôt la mort que la honte.»

Ba Bemba, Roi de Sikasso, 1898

[1] Le système fouriériste prévoit la formation de phalanstères, groupes humains harmonieusement composés en vue de procurer à chacun de leurs membres le bien-être entre le travail attrayant et librement consenti.

Cette utopie sociale fut principalement théorisée dans le Nouveau Monde Industriel et Sociétaire (1829) (dictionnaire Larousse)

[2] Des expulsés maliens étaient sous traitement médical parfois lourd. Malgré les certificats médicaux de médecins hospitaliers et la perception de l’Aide Médicale d’état, ils ont été expulsés.

[3] WEBER Max, Le Savant et le politique, trad. franc., éd. Bibliothèques 10/18, Paris, Plon, 2002, p.139

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